Éducations sentimentales, le temps d’un été

L’été est la saison de la sensualité. C’est aussi, souvent, celle des initiations amoureuses. Nombreux sont les livres ou les films décrivant ce basculement de l’adolescence à l’âge adulte par le biais des premières expériences estivales : Le blé en herbe de Colette, Été d’Edith Wharton, Pauline à la plage de Rohmer, Un été 85 de François Ozon, etc.

Deux œuvres italiennes, en particulier, m’ont frappées par leurs similitudes, à près de 60 ans de distance.

Dans Un été au bord du lac, d’Alberto Vigevani, Giaccomo a 14 ans, l’été où son père loue une villa sur le lac de Côme. Exilé de l’enfance, il n’est pas encore admis dans le monde des jeunes gens, dont font déjà partie son frère et sa sœur ainés. Solitaire, il est assailli par des pensées voluptueuses qui le troublent et qui le laissent désorienté. Un jour, au bord de l’eau, il a une apparition : une femme à la longue silhouette, une anglaise, mère d’un petit garçon, dont il va devenir l’ami pour pouvoir se rapprocher d’elle…

Ce court roman, un classique de la littérature italienne, est une merveille de sensibilité. On songe à Proust pour l’élégance de ce monde de l’entre-deux-guerres, mais aussi pour la subtilité et la complexité des sentiments. Les magnifiques descriptions de la nature, du vent sur le lac, des nuages, reflètent les états d’âme du héros.

Le film de Luca Guadagnino, Call me by your name, adapté du livre d’André Aciman, est sorti en 2017 mais son action se situe dans les années 1980.

Elio (interprété par le talentueux Timothée Chalamet) passe ses vacances dans la villa familiale du XVIIe siècle à Moscazzano, dans la campagne lombarde. Son été se passe en lectures, musique, balades en vélo, et flirt avec sa jolie voisine Marzia. Mais ce calme est troublé par l’arrivée d’Oliver (magnétique Armie Hammer), assistant américain de son père, plus âgé de quelques années. Le film suggère magnifiquement la montée du désir entre les deux hommes, l’ambiguïté des sentiments, liées aux sensations de l’été (sa lumière, notamment).

Comme le roman de Vigevani, il torpille l’idée d’une prétendue innocence adolescente mais au contraire montre le bouillonnement de sève et de pulsions (dont l’objet n’est d’ailleurs pas fixe puisqu’il peut être une femme, un homme ou… une pêche) propres à cet âge.

Dans le roman de même que dans le film, les notions de honte et de secret sont associées à ces premiers émois. Et les deux œuvres se concluent sur la souffrance entraînée par la séparation et la fin des vacances.

Mais alors que le héros d’Un été au bord du lac ne peut partager sa peine que silencieusement avec sa sœur, Elio bénéficie de la compréhension de son père qui, dans une très belle scène, lui fait comprendre la chance qu’il a eu de vivre une telle aventure. En 2017, il devient en effet licite d’évoquer la sexualité adolescente (et même l’homosexualité), ce qui était encore tabou dans les années 1950. Mais peut-être cette ouverture d’esprit n’est-elle que temporaire, à l’heure où un livre destiné aux ados, pour mieux éclairer leurs questionnements, est visé par la censure…

Publié par Céline

Curieuse, j’aime me laisser porter d’une lecture à l’autre, d’un film à un documentaire, d’une expo à un concert… et tisser des liens entre ce qui m’émeut ou me fait réfléchir.

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